Jadis surtout concernée par la guerre et la dictature, la justice internationale s’ouvre depuis peu à d’autres violences de masse. Thierry Cruvellier, rédacteur en chef de Justice Info, explique l’approche de la Fondation Hirondelle sur le sujet.
Quel est l’état de la justice internationale en 2021-2022 ?
Thierry Cruvellier : Le champ traditionnel de la justice internationale est de s’intéresser aux violations graves des droits humains qui surviennent le plus souvent dans des contextes de dictature ou de guerre. Début 2022, la guerre en Ukraine occupe donc une place centrale dans son actualité. D’autant que l’Ukraine et ses alliés ont fait du droit, avec la résistance armée et les sanctions économiques, le troisième pilier de la stratégie de défense face à l’agression russe. Toute une panoplie de juridictions internationales (Cour pénale internationale, Cour internationale de justice, Cour européenne des droits de l’homme…) et nationales (en Ukraine et dans d’autres pays européens) ont été saisies à une vitesse inédite. Au coeur de cette offensive judiciaire figure le crime d’agression, anciennement connu sous le nom de « crime contre la paix », et dont découleraient d’autres crimes internationaux comme des crimes de guerre ou crimes contre l’humanité.
Par ailleurs, on observe depuis quelques années une évolution de la justice internationale hors de son champ traditionnel vers des domaines très variés : problématiques environnementales, vol de terres, défense des peuples autochtones, réparation des violences coloniales, trafic humain, abus sexuels systémiques, violences policières ou sociales dans des démocraties occidentales… Tous ces thèmes, qui recouvrent des violences de masse survenues dans plusieurs pays, sollicitent avec une grande créativité des mécanismes développés par la justice transitionnelle depuis une trentaine d’années. Les justices nationales y sont beaucoup plus actives que les tribunaux internationaux. Deux exemples marquants de cette évolution : les jurisprudences récentes des tribunaux militaires sur la « destruction de la nature » dans l’Est de la RD Congo ; ou les commissions vérité mises en place dans les pays scandinaves (Finlande, Norvège, Suède) sur le peuple Sami pour aborder des violences liées à la fois au passé colonial, au rapport à la nature et aux droits des minorités.
Quels sont les besoins d’information sur ces questions ? Quel est le rôle des médias ?
Les questions et décisions de justice internationale ou transitionnelle sont souvent très techniques, jargonneuses, et les journalistes ont pour première mission de les vulgariser pour mieux les transmettre aux communautés concernées par ces violences et à l’ensemble du public. Inversement, les médias ont besoin de se rapprocher des communautés victimes des violences pour mieux faire entendre leurs voix par les juridictions qui s’en saisissent, lesquelles en sont souvent éloignées. Mais les médias qui traitent de justice internationale doivent également exercer leur rôle journalistique traditionnel de contre-pouvoir, surtout face à des juridictions internationales ou nationales qui constituent elles-mêmes des pouvoirs et qui à ce titre sont susceptibles d’abus. A mon sens, ils ont enfin un rôle pro-actif de sensibilisation sur certains sujets comme les réparations des violences coloniales qui, paradoxalement, font souvent l’objet de débats moins nourris au Sud qu’au Nord.
Dans cette situation, quelle est l’approche de la Fondation Hirondelle au travers du projet Justice Info ?
Justice Info est l’unique média de journalistes qui couvre, explique et critique toutes les questions d’un champ, la justice internationale, où le discours est très monopolisé par ses acteurs, juristes ou institutions. Notre approche consiste à travailler avec des correspondants locaux, qui vivent dans le pays et qui sont en prise avec les violences qui y ont lieu. Cela permet, en plus de la longévité, une sensibilité particulière aux problématiques abordées. Tous nos correspondants méritent d’être cités mais le travail mené par Andrés Bermúdez Liévano sur le vaste processus de justice transitionnelle en Colombie me semble exemplaire. Son suivi factuel extrêmement rigoureux d’un processus immensément complexe est en effet nourri de son expérience personnelle de toutes les questions qui y sont traitées : réforme des terres, kidnappings, exécutions… toute cette expérience de la complexité de la violence colombienne transpire de ses textes. Cette combinaison est la marque d’un journalisme d’information qui ne manque pas son rendez-vous avec l’expérience humaine des souffrances abordées. En ce sens, nous entendons à la fois être experts et être accessibles. D’autant que l’audience de Justice Info est hétérogène, faite à la fois de spécialistes, et de toute personne concernée ou intéressée par ces sujets.