Caroline Vuillemin, Directrice générale de la Fondation Hirondelle, explique les grands enjeux du soutien aux médias locaux dans des contextes fragiles, et les diverses modalités de l’approche de la Fondation Hirondelle à ce sujet.
Quels sont les enjeux et défis actuels du soutien aux médias, en particulier dans les contextes fragiles ?
Caroline Vuillemin : Les paysages médiatiques ont beaucoup évolué depuis vingt ans. Ils se sont diversifiés, les acteurs se sont multipliés. En parallèle, la volonté dans la solidarité internationale ces dernières années est de travailler plus directement à travers des acteurs locaux. C’est ce qu’on appelle la localisation de l’aide. Ces deux tendances se rejoignent aujourd’hui pour pousser les acteurs internationaux de l’aide aux médias à travailler davantage au niveau local, avec davantage de partenaires sur le terrain.
S’agissant des besoins de ces médias locaux, à la Fondation Hirondelle, nous mettons l’accent sur la production et la diffusion d’information. Être en capacité de produire et diffuser des informations factuelles, non partisanes, indépendantes et fiables, cela reste un défi quotidien pour de nombreux médias dans beaucoup de pays, notamment dans les régions les plus fragiles confrontées à des crises multiples, des conflits, des coups d’État…
Il y a évidemment d’autres besoins, inhérents au secteur des médias aujourd’hui. La digitalisation, le développement de nouveaux formats multi-canaux, la réalisation de podcasts, etc. Ainsi que le défi majeur de la gouvernance des médias : comment protéger l’indépendance des rédactions face aux propriétaires des médias. Il faut aussi considérer les besoins en termes de sécurité. Nous travaillons dans les contextes fragiles où la sécurité des personnes, des biens et des sources est un enjeu.
Enfin, il ne faut pas oublier le défi du financement. Le modèle économique des médias est en crise. Comment des médias qui travaillaient grâce à l’abonnement et la publicité peuvent s’ouvrir vers un modèle hybride d’appui, de subvention ? L’inverse est aussi intéressant, comment des médias qui travaillaient exclusivement à travers des subventions s’ouvrent vers la génération de revenus et certains partenaires économiques ?
Dans les contextes de crise dans lesquels intervient la Fondation Hirondelle, quelles sont les problématiques médiatiques observées en 2021-2022 ?
À partir de 2020, la pandémie a mis en avant des problèmes qui étaient déjà présents dans les médias. Les annonceurs, de même que toute l’économie étaient en berne, et cela a entraîné des difficultés pour fonctionner. Dans certains contextes, il y a aussi eu un resserrement de l’espace public, avec un impact sur la liberté d’informer mais aussi sur la liberté d’accès à l’information avec des ministères et des autorités qui refusaient aux journalistes l’accès aux chiffres, sur le nombre de contaminés, le nombre de morts ou encore les mesures sanitaires. Certains journalistes ont pris des risques importants pour enquêter autour de la corruption, majeure, sur les fonds Covid. Nous ne sommes hélas pas sortis de cette situation. Cela risque d’être compliqué pour les médias de récupérer le terrain perdu, notamment en termes d’accès à l’information publique et de liberté d’informer.
Un autre élément qui s’est exacerbé, c’est la méfiance envers les médias avec la désinformation, la production de mensonges ou de messages contradictoires par rapport à la maladie ou au vaccin. Mais cela concerne aussi d’autres sujets. Nous avons pu observer que partout où il y a eu des élections ou des enjeux sociétaux, la désinformation a pris de l’ampleur. Dans ce contexte, les médias se rendent compte qu’ils ont un rôle social toujours plus important à jouer. Parce qu’il existe des crises multiples, sanitaires, sécuritaires, humanitaires, politiques à couvrir malgré cette défiance envers les médias. Et ce, face à des acteurs, qui ne sont pas des acteurs médiatiques, et qui propagent volontairement de fausses informations empêchant la population de reprendre confiance et de savoir vers qui se tourner lorsqu’elle a besoin d’information.
Quelle approche la Fondation Hirondelle met-elle en œuvre pour répondre à ces défis ?
Nous avons défini trois modèles dans notre approche méthodologique. Le premier, qui intervient après une identification des partenaires et des besoins, est de trouver le média que nous allons pouvoir soutenir directement pour qu’il remplisse sa mission. C’est ce qu’on a mis en place au Myanmar avec Frontier Myanmar, mais aussi au Pakistan, au Burundi ou encore en Tunisie. Cette approche nécessite que le contexte permette à ces médias d’exister. On voit que cela est très fluctuant, comme au Myanmar ou il est devenu pratiquement impossible pour des journalistes indépendants de travailler.
Notre seconde approche, hybride, est de travailler avec des médias locaux qui sont intégrés dans un projet médiatique de la Fondation Hirondelle. C’est le modèle mis en place dans nos studios au Sahel. Ces studios ont leur rédaction dans la capitale, et des correspondant·es dans les régions travaillant au sein du réseau de radios partenaires qui diffusent les programmes produits. Les informations sont ainsi collectées depuis le terrain. Les correspondants et journalistes sont régulièrement formés. Les radios partenaires sont parties prenantes du réseau pour la collecte et la diffusion de l’information.
Il reste une troisième approche, qui était celle privilégiée à l’origine de la Fondation mais qui est devenue exceptionnelle : la Fondation Hirondelle comme seule opératrice de média, intégrée dans le paysage médiatique local. C’est ce qui peut arriver dans des contextes très fragiles. C’est ce qu’on vit encore aujourd’hui en Centrafrique, où par une radio leader que nous avons créée il y a 22 ans, Radio Ndeke Luka, on peut observer une sorte d’effet brise-glace, de modèle, mais aussi de centre de formation, qui fait que ce média bénéficie quand même à des partenaires, même si l’on n’est pas directement associé à leur activité.
Ce qui a été marquant pour la Fondation Hirondelle sur ces deux dernières années et encore en 2021 a été de pouvoir travailler avec beaucoup plus de partenaires que dans le passé, à travers l’opportunité de notre programme de réponse à la désinformation sur le Covid dans 18 pays d’Afrique et d’Asie. Chaque fois que nous avons la possibilité de travailler avec un partenaire, même si le projet s’arrête, que le financement s’arrête ou que la mission que nous nous étions donnée est terminée, nous avons la volonté de garder le contact, de garder ce partenaire dans un réseau où nous pourrons continuer à échanger et ainsi pouvoir, lorsque l’occasion se représentera, recommencer à travailler ensemble, au service de l’information des populations locales.